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L’idée selon laquelle la barbarie est toujours tapie dans l’ombre de l’ignorance, prête à surgir lorsque les circonstances lui sont favorables, est restée longtemps un lieu commun de la pensée philosophique classique sur les vertus émancipatrices et protectrices du savoir, entendu comme dernier rempart contre l’oppression, l’injustice et le mal.
Victor Hugo adhérait à cette vision, dont les origines remontent au siècle des Lumières, dans sa célèbre citation: « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne. » Tirée du recueil de poèmes de Hugo publié en 1881, Les Quatre Vents de l'esprit, cette citation nous rappelle que l'éducation ne sert pas seulement à enseigner des faits, mais aussi à enseigner l'humanité, en façonnant les jeunes pour qu'ils deviennent des êtres humains compatissants et responsables.
Depuis l'époque d'Hugo, notre monde a été témoin de bien des atrocités, dont l'Holocauste. Comme l'a fait remarquer George Steiner, Weimar – la ville de Goethe, symbole de l'influence de la culture occidentale moderne – n'est située qu'à quelques kilomètres du camp de concentration de Buchenwald.
Contrairement à ce que nous pourrions croire ou espérer, le savoir ne suffit pas à nous protéger du mal. De nombreux intellectuels de l'après-guerre ont écrit sur cette réalité tragique de notre condition postmoderne : la culture et le savoir, bien que puissants, ne garantissent pas notre sécurité.
Ces derniers temps, l'éducation a évolué. Un certain mouvement pédagogique s'inspire d'une vision déformée de la méthode socratique, qui prône la révélation, par le dialogue intérieur, des vérités enfouies en nous. Désireux de renouer avec cette grande figure de la pensée occidentale, mais sans en comprendre pleinement l'approche, ce mouvement met l'accent sur l'épanouissement personnel et la liberté de l'élève, au risque de sacrifier la connaissance et la sagesse plus profondes.
Dans cette tendance qui privilégie l'autonomie et la liberté individuelle, l'individu devient le nouveau centre de gravité, et l'éducation s'apparente davantage à du divertissement qu'à une véritable transmission.
Tout le monde ne peut pas être Socrate, et comme le dit l'historien Pierre Legendre, on ne peut pas se construire en ne comptant que sur soi-même. L'apprentissage doit impliquer l'altérité. Les élèves doivent s'intéresser aux idées et aux connaissances qui ont façonné le monde dans lequel nous vivons. Après tout, c'est le même monde dans lequel ils devront vivre.
Les écoles véritablement ambitieuses et tournées vers l'avenir l'ont bien compris. Enseigner, c'est transmettre. Le mot « éducation » vient du latin ex-ducere, « faire sortir ». En tant qu'éducateurs, notre rôle est de faire sortir les élèves de leur mentalité autosuffisante, et non de la renforcer par une conception erronée de l'« autonomie » et de la « liberté ». Nous devons leur donner les clés pour naviguer et s'épanouir dans un monde qui existait avant eux et qui continuera d'exister après leur départ.
Au Collège Champittet, nous pensons que si nos enseignants transmettent cet héritage à nos élèves, alors nous pouvons véritablement « gagner » des âmes. Nous pouvons former des jeunes capables de penser de manière indépendante et raisonnée, sans se laisser guider par leurs instincts primaires ou leurs désirs à court terme. Ces « êtres naissants », pour reprendre l'expression d'Hannah Arendt, seront prêts non seulement à affronter le monde, comme des aventuriers s'embarquant vers des terres inconnues, mais aussi à le construire, comme des créateurs éclairés.
C'est une énorme responsabilité, mais aussi le plus grand acte de liberté qui soit.